Je reviendrai: lettres de Russie 1942-1943

La copertina dell'edizione francese

La correspondance avec sa famille, pendant huit mois, du futur écrivain, volontaire pour le front russe pendant la Seconde Guerre mondiale. Superbe.

L’immense écrivain catholique italien Eugenio Corti nous a quittés, à 93 ans, début 2014. Sa femme nous offre ce livre posthume : conservés par son mari, cent lettres, cartes postales et télégrammes envoyés du front de l’Est par le futur écrivain à sa famille (6 juin 1942-29 janvier 1943), accompagnés d’une cinquantaine de photos.

Mobilisé en 1941, à 20 ans, officier d’artillerie, il se porte volontaire pour le front russe. La guerre sera pour lui une expérience majeure, qui rejaillira sur sa personnalité et décidera de sa vocation littéraire. La Plupart ne reviendront pas (Éd. de Fallois / L’Âge d’Homme) relate l’hallucinante retraite de Russie du 35e corps d’armée italien où il est engagé. Les Derniers Soldats du roi (Éd. de Fallois / L’Âge d’Homme) raconte l’épopée du corps italien de Libération, où il combat aux côtés des Alliés (1944-1945). Le premier volet de sa monumentale fresque romanesque, Le Cheval rouge (L’Âge d’Homme), son chef-d’œuvre, s’inspire largement de sa guerre. Enfin, Histoire d’Angelina et autres récits (L’Âge d’Homme) contient, dans « Du temps de la guerre », quatre récits autobiographiques.

«La guerre apprend à connaître les hommes »
Durant sa campagne de Russie, le jeune homme, aîné de dix enfants, écrit tantôt à sa famille en bloc, tantôt à ses parents, tantôt à l’un ou l’autre de ses frères et sœurs. On est frappé par la maturité et la foi profonde qui émanent de sa deuxième lettre, adressée à son père et sa mère. Il part pour le front russe entre les mains de la Providence. Il veut participer « en faveur de la religion, de la famille et de l’Esprit ». Et il ajoute : « La guerre fait les hommes. La guerre […] nous montre nos semblables tels qu’ils sont : elle apprend à connaître vraiment les hommes. La guerre donne une grande personnalité, une grande connaissance de soi. » Il part serein. « Je reviendrai », affirme-t-il, comme habité d’une certitude intérieure : « Je sens que Dieu me guide par un chemin que Lui seul connaît, mais qui est encore long. »

Il écrit dès qu’il peut, s’enquiert du travail de ses parents, des études de ses frères et sœurs. Il écrit notamment à sa petite sœur Mariuccia, 7 ans, sa filleule, qui va faire sa confirmation et devenir « un petit soldat de Jésus ». Il décrit les pays traversés, les paysages, ses camarades officiers très sympathiques, ses hommes dont il est très aimé, la monotonie de sa vie militaire. Dans chaque lettre, il se veut rassurant, éloigné de tout danger, avec un moral d’acier, et répète : « Je vais parfaitement bien. »

Une lecture superficielle pourrait presque laisser croire à une guerre « la fleur au fusil ». Mais une étude plus approfondie, grâce à la préface de François Livi, grand connaisseur de Corti, qui décrypte le texte, éclaire la guerre d’une lumière beaucoup plus crue. D’abord, il y a la censure militaire et postale : pas de noms de lieux dans les lettres, rien sur les opérations en cours, pas de pessimisme, ni de défaitisme ; mais aussi l’autocensure que s’inflige Corti. Pourtant, il laisse parfois filtrer des informations. En Pologne et Ukraine, des enfants affamés leur quémandent de la nourriture. Une anodine visite de courtoisie à un évêque polonais se révèle en fait, une visite de soutien et d’indignation face aux horreurs dues aux communistes et aux nazis. Une lettre, à ses sœurs curieusement, évoque les cadavres de Russes, en décomposition sous le soleil, qui répandent une odeur épouvantable.

Mais du 14 décembre 1942 au 21 janvier 1943, aucun courrier ! C’est la terrifiante retraite de Russie : sur les 30 000 hommes du 35e corps d’armée italien, il n’y aura que 4 000 survivants, dont 3 000 gravement blessés ou traumatisés… et seuls 1 000 seront sans séquelles, dont Eugenio Corti. Il avait promis à la Madone, s’il s’en sortait vivant, de consacrer sa vie au règne de Dieu. Il l’a fait par son œuvre.

(Marie-Catherine d’Hausen, 31/03/17, Famille Chrétienne)